"Tu te sens plus utile"

Vivre et travailler selon les rythmes de la nature et des animaux, contribuer à la production de denrées alimentaires locales, connaître les plaisirs et les difficultés du métier paysan. Celle-ci a été l’expérience de Niki Paltenghi, qui a prêté 5 mois de service civil dans un alpage en Valle Verzasca (Tessin). Un interview de Zeno Casella.

Comment se déroulait ta « journée type » à l’alpage où t’as prêté service ?

Après le petit déjeuner, la journée commençait par… les excréments (rires). La première tâche que je devais accomplir était en effet le nettoyage de l’étable des chèvres, afin de libérer les mangeoires et assurer la propreté de l’espace où étaient logés les animaux. Après avoir nourri les chèvres, il fallait transporter le lait jusqu’au local où était fabriqué le fromage et tous les autres produits laitiers de la ferme. Ceci ne rentrait pourtant pas dans mes tâches, et je devais alors me dédier à d’autres petits travaux à l’alpage et dans les alentours : couper du bois, faire des petites réparations, aménager les chemins menant à la ferme, etc.

Comment étaient tes rapports avec ton établissement d’affectation ?

Le couple qui gère l’alpage où j’ai travaillé était très ouvert au dialogue, je me suis très bien trouvé malgré le fait qu’on était étroitement en contact au cours de toute la journée. Ils étaient très disponibles à raconter leurs expériences et leurs difficultés, à partager leur point de vue sur plein de sujets : l’échange a été vraiment enrichissant ! Je continue d’avoir des forts contacts avec eux même après la fin de mon affectation : on se voit souvent pour des soupers, je vais les aider pour faire le foin, ou même seulement au téléphone pour savoir comment vont les choses.

Comment es-tu arrivé au service civil ? Es-tu satisfait du choix ?

À la fin de l’école secondaire, j’ai fait des stages et j’avais déjà décidé de m’inscrire à l’ECAL de Lausanne, pour une raison pratique j’ai donc choisi de fréquenter l’école de recrue. Pendant mes études à Lausanne j’ai pourtant renvoyé plusieurs cours de répétition et l’idée de retourner en caserne me hantait. Après le diplôme j’ai donc demandé l’admission au service civil, ce qui m’a permis de continuer à suivre des projets que j’avais en cours, mais aussi de vivre des expériences très enrichissantes et certainement plus utiles au pays qu’aller tirer des centaines de projectiles dans un talus !

Quelles différences as-tu trouvée entre le service civil et l’armée ?

Se lever pour aller tirer est stupide et moins motivant que se lever pour aller aider quelqu’un qui entretient le territoire, qui produit des aliments de qualité etc. À la fin de la journée, quand tu vois ce que t’as accompli, quand tu manges le fromage que t’as contribué à réaliser, quand tu vois le mur que t’as construit, tu te sens beaucoup plus utile ! À long terme, la connaissance de personnes et d’expériences de la réalisé paysanne, d’une longue et précieuse tradition agro-alimentaire, d’une histoire de vie comme celle que j’ai vu à l’alpage, tout cela a une valeur beaucoup plus grande que ce que j’ai fait à l’armée. Cette expérience m’a d’ailleurs motivé à rester au Tessin et à changer l’axe de ma vie : je pouvais me transférer à Zurich pour travailler comme graphiste, mais j’ai décidé de relever un ancien moulin dans ma région et de contribuer à le revaloriser.

Le débat sur la situation des paysans en Suisse est actuellement très vif. Qu’est-ce que ton expérience de service civil t’as transmis à ce propos ?

Le travail de tous les jours et les discussions que j’ai eu avec mon établissement d’affectation m’ont montré encore plus l’importance environnementale, sanitaire, économique et sociale du secteur agricole : la tutelle de la biodiversité et du territoire, la fourniture de produits pour une alimentation saine et diversifiée, la diminution de la dépendance de l’étranger auxquelles contribuent les paysans sont en effet souvent oubliés ! Le débat sur les initiatives agricoles ou sur la réforme de la loi sur la chasse l’a clairement démontré, faisant ressortir une incompréhension entre producteurs ruraux et consommateurs urbains. La pression subie par la grande distribution, la difficulté à vendre ses produits à des prix équitables, le peu d’attractivité du métier ne font qu’augmenter la pression sur les paysans, et les ultérieures limitations proposées n’ont pas été acceptées par nombre d’entre eux. L’approche adopté au Tessin, où vient d’être approuvée l’introduction du principe de la souveraineté alimentaire dans la constitution cantonale, me paraît beaucoup plus intéressant et un bon point de départ : pour avoir une agriculture durable et sociale, il s’agit de soutenir davantage le monde paysan, de le rapprocher des consommateurs, non pas de le culpabiliser !