Façonner activement l'avenir

Une période marquée par le projet de révision de la loi s’est terminée provisoirement à la fin du mois de juin. Bilan critique et perspectives par Alois Vontobel.

A peine le Conseil fédéral avait-il annoncé son intention de réviser la loi à la mi-mars 2017 par le biais de 7 mesures visant à réduire l'attrait supposé du service civil, que la possibilité d'un référendum envahissait déjà les esprits. À mon avis, l'association s'est crispée trop tôt dans cette voie, abandonnant d'autres possibilités d'action. Aucun échange direct avec des civilistes actuels ou futurs n'a eu lieu, et aucune action en justice n'a été envisagée, bien que l'association jugeât clairement illégales au moins deux des mesures planifiées. Si l'on est d'avis que des mesures violent le droit national et international, et si cela est confirmé par une expertise, il eut été intéressant, à mon avis, qu'un tribunal se prononce sur ce point sur la base d'une affaire que l'on aurait pu soutenir financièrement.

Dès la prise de position au cours du processus de consultation, nous nous sommes montrés dogmatiques, peu disposés à maintenir une position constructive ne serait-ce que sur une seule mesure, et toute réflexion pour le développement ultérieur des options de service a cédé la place à des commentaires détaillés sur les différentes propositions. Même la mesure 5, qui visait à empêcher l'admission au service civil avec zéro jour de service restant dans l'armée n’a pas fait l’objet de discussions, comme si nous ne doutions pas une seconde que des soldats avec 250 jours de service pouvaient soudain avoir un conflit de conscience, et bien que cette procédure soit connue pour éviter les tirs obligatoires après les cours de répétition et jusqu’à la libération définitive. Aucun de ces anciens soldats n’effectue ne serait-ce qu’une demi-journée de service civil ! Les jalons étaient ainsi posés pour une confrontation politique avec le Parlement d'alors, plutôt favorable à l’armée, tout comme le Parlement actuel d’ailleurs, et ainsi durcir les fronts.

Davantage de civilistes avant l'ER
On peut affirmer que la menace de référendum a eu un effet positif sur l'issue des délibérations au Parlement et a renforcé la position de l'association. Je partage en partie cet avis, mais en même temps, l’association est ainsi devenue plus prévisible. Il est malheureusement dans la nature de ces campagnes qu'elles n'abordent pas tous les aspects d’une problématique. Les formulations exagérées, comme celle qui prétendait que le service civil devait être « sauvé », en disent long. Toutes les mesures que l'association a déclarées illégales dès le départ ne concernaient que les personnes ayant déjà accompli du service militaire au moment de leur demande de service civil. Tous les jeunes hommes qui décident de faire le service civil dès le début sont alors ignorés. Il est intéressant de noter que la proportion de personnes ayant déposé leur candidature avant l’ER a augmenté ces dernières années, passant de 45,7% en 2017 à 51,6% en 2019. Ces nouveaux civilistes ont également suivi les événements politiques et ont tiré leurs propres conclusions pragmatiques. Insinuer que la révision de la LSC aurait mené le service civil à sa perte n'est selon mois pas juste, et je trouve cela irrespectueux envers ces civilistes de la première heure.

Une alternative à part entière
De retour dans le présent, je vois maintenant l'opportunité de façonner activement les développements à venir. Pour quelques temps au moins la pression extérieure est moindre, et la voie est libre pour de nouvelles idées et suggestions. Je souhaite que finissent les éternelles comparaisons avec l'armée et le rôle de victime trop longtemps endossé par le service civil, qui le mettait en position de défense. Le discours devrait maintenant être délesté de tout cela et ne plus connaître de tabous.

L'un des problèmes à l’origine des éternelles discussions est sans doute que dans l'article 59, paragraphe 1 de notre Constitution fédérale de 1999, le service civil apparaît uniquement comme service de remplacement. Si l’on souhaite obtenir des changements par la voie politique, le souverain devrait commencer par modifier ce paragraphe. Le service civil ne doit plus être un service de remplacement, mais une alternative à part entière.

Ce changement permettrait aussi de discuter du paragraphe 2 de cet article, qui dit que seuls les ressortissants suisses sont astreints au service. Pourquoi, au nom de l'égalité, ne pas instaurer une obligation générale de servir ? Ou bien créer une possibilité de service volontaire pour les femmes et les personnes résidentes sans passeport suisse ? Ou alors évaluer différemment l'aptitude au service ? Cette possibilité pourrait notamment conduire à une réduction du nombre de personnes déclarées inaptes lors du recrutement. En 2019, elles étaient 5955, soit près de 20% de l'ensemble des conscrits, presque autant de personnes que le nombre d’admissions au service civil la même année.

Il faudrait alors adapter également l'article 1 de la loi sur le service civil, car le conflit de conscience n’apparaît qu’à partir d’ici. Et c'est précisément ici qu'il me semble important de prendre un rôle actif. Serions-nous vraiment déshonorés par le fait de reconnaître qu'il y a aussi des jeunes qui ne connaissent pas de conflit de conscience « conventionnel » et qui préfèrent pourtant le service civil à l’armée ? Selon moi pas du tout, mais pour cela nous devons avoir le courage de façonner activement la discussion et de cultiver l'ouverture.

Ma vision
Si je devais préciser très concrètement les modifications à entreprendre, je plaiderais pour les ajustements suivants. L'article 1 de la loi sur le service civil (LSC) devrait par exemple être adapté de la manière suivante : « Les conscrits qui pour des raisons de conscience ou d’autres raisons ne souhaitent pas effectuer de service militaire, demandent à effectuer un service civil plus long, conformément à la présente loi. »

Et dans la Constitution fédérale, la modification pourrait ressembler à ceci : « Tout citoyen suisse est tenu d'effectuer un service militaire ou civil. Pour les Suissesses et les résident.e.s étrang.er.ère.s ce service est facultatif.
Les citoyen.ne.s suisses qui n’effectuent ni service militaire ni service civil sont redevables d’une taxe ».

Le terme « service de remplacement » doit disparaître et le conflit de conscience subsister, mais être étendu à d'autres raisons. Une approche qui se concentre sur des « détails » tels que la durée, le moment de la demande, le délai d'attente, etc., est réductrice et invite justement à voir très vite des discriminations, alors que ce qui est perçu comme tel réside plutôt dans la différence de nature des engagements ou bien relève de différences de perception.

Alois Vontobel a été membre du comité de CIVIVA jusqu'en 2019.